Joseph Vantini, dit Youssouf, né à l’île d’Elbe en 1808 et mort le 16 mars 1866 à Cannes est un général français.
Son nom, son histoire, semblent parfaitement inconnus du grand public. Même son surnom : Général Youssouf, ne nous éclaire pas trop. Et pourtant…
On connaissait le mameluck Youssouf, au service de Napoléon 1er, qui, lors de la bataille d’Austerlitz, avait exprimé à l’Empereur ses regrets de ne pas avoir pu attraper le frère du Tsar de Russie et lui amener sa tête coupée, ce à quoi l’Empereur avait répondu : « Veux tu te taire, vilain sauvage ! » .
Cet autre Youssouf, totalement étranger au premier, peut nous amener à un nombre intéressant de figurines à peindre, en tirant simplement le fil de sa longue et passionnante histoire.
Colonel Yusuf 1835 par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection 1
Le cours de sa carrière révèle, à chaque pas , une constante alliance de ses traits principaux de caractère, charme, ruse, décision et absence de pitié, bien propres à son éducation, son époque et la région de ses exploits.
De l’île d’Elbe à Sidi Ferruch
Vers 1814, il fut embarqué pour Florence où on l’envoyait faire ses études; mais le navire qui le portait ayant été capturé par un corsaire barbaresque, Joseph, conduit à Tunis, échut en partage au Bey. Devenu musulman, il prend le nom de Youssouf. Il est placé dans le sérail, il ne tarda pas à se concilier l’affection de ses maîtres. Il apprit en peu de temps le turc, l’arabe, l’espagnol, gagna, par son adresse dans tous les exercices militaires, l’amitié du Bey.
Mais engagé dans une intrigue avec une des filles du Prince, et surpris un jour, dans un de ses rendez-vous, par un gardien, il conçut aussitôt l’audacieuse résolution de s’en défaire ; il jeta le corps dans une piscine profonde, n’en conservant que la tête, et le lendemain, pendant que la jeune princesse l’entretenait des vives terreurs auxquelles elle était en proie, il la conduisit, pour toute réponse, dans la chambre voisine, et lui montra, dans l’une des armoires, la tête de l’esclave dont il avait arraché la langue. Cependant, il ne songea plus dès lors qu’à quitter Tunis, et prépara son évasion. Pendant quelques jours, il feignit d’être malade, obtint enfin la permission de sortir du sérail, et trompant la vigilance de ses gardiens, il put concerter les moyens de s’échapper.
Au mois de mai 1830, alors que le brick français l’Adonis était dans la rade, Youssouf se débarrassa de cinq turcs qui voulaient le retenir à terre et parvint à son bord. Et c’est ainsi qu’il débarqua à Sidi Ferruch (Algérie) avec l’armée.
Infanterie de Ligne 1830 par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection
Premiers faits d’armes
Pendant la campagne, il resta attaché au général en chef, et fut placé comme interprète militaire auprès du commissaire général de police. Plusieurs missions périlleuses dont il s’acquitta avec zèle et intelligence, près des chefs des diverses tribus éloignées, lui ouvrirent enfin la carrière des armes.
Il fut nommé capitaine dans le 1er régiment, des chasseurs d’Afrique le 25 mai 1831, et bientôt après promu aux fonctions de lieutenant de l’Agha. (Agha ou aga (turc moderne: Ağa, persan: آغا ), du turc agha ‘chef’, ‘maître’, ‘seigneur’. Titre d’un officier civil ou militaire, ou une partie de ce titre. Dans l’Empire Ottoman, les commandants des différentes branches des forces militaires étaient appelés aghas; par ex. azap agha, besli agha signifiant commandant d’un azap, commandant d’un besli.)
2e Régiment de Chasseurs d’Afrique 1832 par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection
La prise de Bône
Désigné par le duc de Rovigo ( général Savary ) pour faire partie de l’expédition de Bône (aujourd’hui Anaba), il aida de son courage le capitaine d’artillerie d’Armandy et ce fut aux efforts de ces deux officiers que l’armée dut de pouvoir occuper la citadelle, presque sans coup férir. Cette action valut à Youssouf la croix de la Légion d’honneur. Il contribua plus tard à conserver cette conquête à la France.
C’est lors de la prise de Bône que se tient un évènement qui reflète bien la personnalité de cet homme d’exception. Les Turcs qui s’étaient rangés aux côtés des Français et que Youssouf commandait souhaiter se retourner contre lui et l’assassiner. Youssouf ayant été mis au courant s’arrête, et s’adressant à sa troupe déclare: « Je sais, dit-il, qu’il y a parmi vous des traîtres qui ont résolu de se défaire de moi dans la nuit prochaine. Je les connais, qu’ils frappent d’avance ceux qui ne craindront pas de porter la main sur leur chef. » Puis se tournant vers l’un d’eux : « Toi, tu es du nombre, lui dit-il, et il l’étend mort à ses pieds. » — Cet acte de résolution déconcerte les conjurés ; ils tombent à ses genoux, et lui jurent une fidélité à laquelle ils n’ont pas manqué depuis…’’
Youssouf se fit encore remarquer pendant les campagnes de 1832 et 1833, et fut nommé, le 7 avril 1833, chef d’escadron dans le corps des spahis réguliers du « colonel-agha » Marey.
Chasseurs d’Afrique 1833 par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection
Une carrière d’exception
Youssouf fut nommé officier de la Légion d’honneur le 14 août 1835. Sa conduite distinguée en 1836 et 1837 lui valut, le 18 février 1838, le grade de lieutenant-colonel, et il fit, à la tête de son corps de Spahis, les campagnes de 1838 à 1841. Il a été nommé colonel de la cavalerie indigène d’Afrique le 19 mai 1842, et promu au grade de maréchal de camp après la bataille d’Isly.
La prise de la Smala d’Abd El-Kader
Dans l’expédition du duc d’Aumale (Henri d’Orléans 1822-1897) contre la Smala, Youssouf, toujours à l’avant garde avec ses spahis, éclairait la colonne ; s’apercevant que sa marche était signalée par des indigènes qui allumaient des feux, il décida de faire un exemple, parvint à en surprendre quelques-uns et les fit exécuter, sur le champ. Le procédé était cruel, mais produisit son effet ; les signaux lumineux cessèrent, ce qui permit de surprendre la Smala. Lors de la Prise de la Smala d’Abd El Kader le 16 mai 1843, Youssouf avait avec lui, trois escadrons de spahis et les trois escadrons de chasseurs d’Afrique du lieutenant-colonel Morris : « Eh bien ! messieurs, en avant ! », lança le duc d’Aumale.
Bientôt les spahis au burnous rouge partirent au galop. La surprise fut telle que les femmes, les prenant pour des cavaliers réguliers de l’Emir, poussèrent des you-yous afin de célébrer leur retour. Cette joie se transforma en stupeur lorsque les premiers coups de feu éclatèrent ; un cri lugubre se propagea : « Er Roumi, er Roumi ! » (les colons sont appelés roumis par les autochtones) Youssouf avec ses spahis se précipita sur le douar d’Abd El-Kader, tandis que le duc d’Aumale avec l’intrépide Morris abordait la Smala de flanc. La panique saisit la foule et provoqua un sauve-qui-peut général, si bien que les troupes françaises s’emparèrent de milliers de prisonniers et d’un immense butin, en n’éprouvant que fort peu de pertes. Youssouf fit dresser pendant la nuit, devant la tente du duc d’Aumale, la tente d’Abd El-Kader, et la fit entourer des drapeaux, des armes et des plus beaux trophées enlevés à l’ennemi, pour donner au jeune prince un joyeux réveil. Il fut cité, dans le rapport rédigé par le duc d’Aumale, pour « son brillant courage et son intelligence militaire. »
Le Duc d’Aumale 1843 par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection
Le « Murat de l’armée d’Afrique »
Youssouf avait conquis l’estime et l’affection du général Bugeaud, qui le considérait comme un magnifique cavalier, et l’appelait le « Murat de l’armée d’Afrique ». Après le départ pour la France de l’illustre Maréchal, il n’eut plus guère l’occasion de chevauchées, car Abd El-Kader s’était réfugié au Maroc et fut bientôt amené à se rendre : l’ère glorieuse était close. Nommé inspecteur général permanent de la cavalerie indigène, il eût voulu, par-dessus tout, être admis dans le cadre des généraux français, il ne l’était qu’à titre indigène ; malgré ses efforts et ceux de ses amis et malgré l’appui de Bugeaud lui-même, il ne pouvait y parvenir.
Le Maréchal Bugeaud par Maurice Toussaint, Anne S.K. Brown Military Collection
Le livre qu’il publia en 1851 « De la guerre en Afrique » témoigne de la hauteur de ses vues. Les principes qu’il y exposait ont servi de bases aux règlements spéciaux si nécessaires à l’Armée d’Afrique. Aux conseils militaires pratiques, il ajoutait des pages d’une portée plus haute, celles par exemple où il indiquait le rôle de l’officier des bureaux arabes :
« La France veut coloniser, écrivait-il ; elle appelle de ses vœux le moment où la charrue pourrait ouvrir ce nouveau sol, où les baïonnettes ne seront plus que protectrices, et où le colon n’aura plus à craindre de voir surgir un ennemi derrière chaque buisson. Dès ce jour (puisse-t-il bientôt luire), l’officier des bureaux arabes verra encore, s’agrandir sa mission : il sera, plus que jamais l’homme nécessaire, le trait d’union indispensable ; pendant de longues années, il sera appelé, sur les zones de l’intérieur, à diriger, surveiller, protéger la colonisation qui aura franchi le Sahel, et se sera aventuré presque jusqu’au désert. »
Enfin Youssouf obtint en décembre 1851 la récompense qu’il souhaitait ardemment, l’admission dans le cadre des généraux français ; le Président de la République, Louis-Napoléon (Napoléon III), lui écrivit à ce sujet : « Il était juste que la France adoptât celui qui, depuis de longues années, la défend en Algérie avec tant de courage et de dévouement. »
Trente-cinq années au service de la France
En 1854, durant la guerre de Crimée, le général Youssouf forma en Bulgarie 6 régiments de Bachibouzouk qui furent licenciés au bout de 2 mois. A son retour il fut promu général de division, et dirigea, d’après les ordres du général Randon, des colonnes qui participèrent de la façon la plus efficace, en 1856 et 1857, à la soumission définitive de la Kabylie. La grande expérience que Youssouf avait du Sahara et des indigènes lui permit de rendre, pendant l’insurrection de 1864, des services importants dans le Sud des provinces d’Alger et d’Oran. Cependant, le maréchal de Mac-Mahon, nommé gouverneur général de l’Algérie, lui déclara au début de 1865 qu’« avec de nouveaux systèmes, il fallait des hommes nouveaux ». Façon pour le moins cavalière de le remercier de ses brillants services pendant 35 ans.
Youssouf demanda la division de Montpellier, mais il tomba gravement malade et alla mourir à Cannes le 16 mars 1866.
Colonel Philippe Barreaud † 2
1 L’ensemble des illustrations sont issues de la collection Anne S.K. Brown Military Collection https://library.brown.edu/info/collections/askb/index/
2 Le colonel Barreaud était un figuriniste et un ami du webmestre du site, il avait écrit cet article quelques années avant sa mort. Il n’avait pas été publié et était tombé dans les limbes d’une boite email, voilà ce manquement réparé.